Notre voyage de 2023
Arrivés à Addis nous démarrons notre travail à l’orphelinat. Au programme, des rencontres avec les jeunes, avec le staff et avec l’ONG Mekdim qui travaille avec les jeunes séropositifs. Cinq jours de rencontres, de demandes diverses et variées, de satisfactions et de déceptions. Le sentiment de ne pas faire assez face aux enjeux et aux difficultés rencontrées. Quelque fois de l’abattement face à toutes ces difficultés qui se succèdent sans fin dans ce pays en souffrance.
Nos entretiens commencent par le responsable de l’orphelinat Tamiru Nega. Tamiru nous explique la situation en Éthiopie et ses conséquences sur la vie du centre. Tout le monde est fatigué de ces tensions et crises à répétition. La relation avec les jeunes s’est améliorée grâce aux travaux de l’ONG Mekdim et peut- être aussi grâce à une prise de conscience, certes un peu tardive, de nos difficultés et de celles du pays. Le fait est que les relations sont moins tendues, les jeunes ont des demandes plus raisonnables. Le staff s’en trouve satisfait et plus motivé.
L’ONG Mekdim est une O.N.G éthiopienne spécialisée dans le soutien médical et psychologique aux personnes atteintes du sida. Nous lui avons demandé l’année dernière de nous proposer un programme de prise en charge des 52 jeunes du centre concernés. Après un audit préalable, elle a établi un programme adapté en accord avec le staff. Après évaluation des uns et des autres, les entretiens ont commencé par les jeunes puis le staff. Ils ont ensuite démarré les formations et les groupes de paroles. Les sujets sont divers, l’observance de la prise des médicaments, la gestion de conflits, les comportements liés à l’adolescence, la contraception, la sexualité, l’employabilité des jeunes, l’entraide et la solidarité, le harcèlement, etc. Certains de ces sujets sont culturellement difficiles à aborder. Le programme est encore en cours jusque février 2024 pour la première partie, mais on en voit déjà les effets positifs.
Il y aura, nous l’espérons, une suite à ce programme pour que ce soit plus solide et pérenne pour les participants. Nous devons trouver de nouveaux partenaires pour subvenir aux besoins des 186 jeunes dont nous sommes responsables. Les 52 jeunes séropositifs qui nous demandent plus d’attention ne doivent pas éclipser tous les autres.
Le plus étonnant, c’est que des jeunes qui ne savaient pas se projeter dans l’avenir les années précédentes sont venus nous proposer des projets professionnels pour quitter la structure. Nous avons écouté 15 jeunes avec des projets plus ou moins viables. Nous les avons encouragés à mieux se préparer et nous allons voir si nous pouvons amener de France une partie du matériel dont ils ont besoin pour en baisser le coût en Ethiopie. Exemple ci-dessous d’un projet :
Y R – 24 ans – il est en bonne santé – il dispose d’un diplôme de réparateur en électronique (ordinateur, téléphone). Il fait déjà des petits jobs à côté dans ce domaine.
Son besoin : un ordinateur portable et un smartphone.
Il demande un coup de main pour la location de son local au mercato et la somme nécessaire à l’achat d’un petit décapeur thermique pour décoller les pièces de téléphone portable à réparer.
Le budget de son projet si on amène le pc portable de France : environ 1000€
Nous avons pu assister à une séance de travail de Mekdim avec les jeunes séropositifs le samedi matin à l’orphelinat. L’objectif était de faire le point sur l’assimilation des 3 dernières séances et d’apprendre aux jeunes à en former d’autres par la suite et à l’extérieur de l’orphelinat. L’ambiance est très bonne, les jeunes prennent les choses en main et les travailleurs sociaux de Mekdim interviennent peu. Il y a un côté ludique dans la séance et on voit qu’ils sont heureux d’y participer. Les jeunes HIV avaient déjà été formés rapidement à l’hôpital, lors des visites de contrôle, mais davantage sur le côté médical que psychologique. En cas de problème, ils ont un numéro qu’ils peuvent appeler si besoin. Certaines formations ont lieu chez Mekdim et les jeunes vont maintenant y faire leurs analyses de suivi. Cet accompagnement les rassure sur leur suivi médical futur. Enregistrés dans la base des patients de l’ONG, ils savent qu’ils ne seront plus seuls avec leurs problèmes de santé, même sortis de notre structure.
Une séance de travail avec l’ONG MEKDIM au milieu d’un de nos deux grands Toukouls
Nous avons bien sûr évalué également le travail de Mekdim auprès du staff en rencontrant une infirmière (Konjit), une cuisinière (Frehiwot)et cinq des dames qui gèrent les dortoirs (Abeba, Serkalem,Fikre Tesfa ,Birtukan et Wogeyehu). Toutes sont heureuses de cette formation et souhaitent que cela se renouvelle. Elles appliquent chez elles avec leurs enfants les préceptes des formations reçues au centre sur la gestion des conflits et des relations avec les adolescents. Elles nous confirment elles aussi les effets positifs sur les jeunes qui sont plus calmes, moins stressés et plus aptes à communiquer avec les adultes.
La discussion bifurque rapidement sur l’inflation des prix des produits de première nécessité. Les salaires que nous donnons ne permettent plus de vivre décemment. Pour une baby-sitter, nous donnons 2300 birrs par mois, à comparer avec les 3500 birrs d’une location ou les 1200 birrs du coût d’un mois d’école privée pour les jeunes qui ne peuvent pas aller à l’université. Le kilo de teff est à 120 birrs du kilo pour une consommation mensuelle d’environ 35 kilos par famille. Il est impossible de vivre avec un seul salaire et il faut se regrouper à plusieurs familles pour louer une maison et mutualiser certains frais. On nous demande une augmentation des salaires de 25% minimum, ce qui ne serait que justice. Comment faire pour trouver l’argent nécessaire à tout ceci ?
Dans ce contexte, le départ à la retraite est redouté car les pensions sont trop faibles pour permettre d’en vivre décemment, l’âge légal de départ est à 62 ans. Il est paradoxal pour nous de mettre un salarié en danger en lui proposant un départ à la retraite. C’est le cas de nos vieux gardiens qui n’ont plus l’énergie nécessaire au travail mais qui nous supplient de les employer encore quelques temps.
Les familles d’accueil que nous rémunérons pour prendre soin des jeunes nous font la même demande de revalorisation des « pensions ». Il faudrait à minima les augmenter de 25% et passer de 2000 birrs à 2500 birrs par jeune confié. Avec cette somme de 2000 birrs, il faut les loger et les nourrir décemment.
Rencontre des 4 jeunes qui ne peuvent rejoindre leurs universités.
10 universités du Nord ne peuvent pas garantir la sécurité des étudiants. Elles sont fermées et les autres universités du pays ne peuvent les accepter faute de place. Le gouvernement ne donne pas de date de réouverture et ces jeunes risquent de perdre un an.
Il est possible de les faire entrer dans une école privée à Addis (1600etb/mois soit 27€ par mois) ce qui est un coût supplémentaire pour nous et un risque par rapport à la qualité de l’enseignement.
- G D – université de Gondar (clinical pharmacy)
- R B -université de Debre Berhan (clinical pharmacy)
- K A – université de Bahar Dar
- H D – université de Debre Markos
- J B est une jeune femme de 25 ans, originaire de la région de Debre Zeit.
Arrivée à l’orphelinat du Toukoul à l’âge de 7 ans, avec son grand frère et son petit frère , elle a vécu son enfance au Toukoul, puis son adolescence à Burayu. A la fin de sa scolarité, elle obtient des notes moyennes au bac (sauf en mathématiques, sa matière favorite) ce qui la pousse à redoubler d’efforts pour la suite de ses études encouragée par son grand frère. Elle poursuit son cursus à l’université d’Assosa, à la frontière soudanaise, pour étudier l’ingénierie électrique et informatique.
Imaginez le courage qu’il a fallu à cette jeune fille, pour aller habiter loin de ses amis et de ses frères, dans un endroit où elle ne connaissait personne, et dans des conditions de vie assez rudes (c’est une des régions les plus chaudes d’Éthiopie).
Elle nous raconte qu’elle a eu la chance de rencontrer, dans l’avion la menant d’Addis Abeba et Assosa, une jeune femme qui deviendra son amie la plus proche à l’université.
Là-bas, les cours sont dispensés en anglais.
Elle y partage une chambre étudiante avec 4 autres jeunes femmes, les conditions sont spartiates et la nourriture exécrable. 5 ans plus tard, elle termine brillamment son parcours scolaire, en décrochant la médaille d’or de son université, grâce à ses excellents résultats. Elle est la première jeune fille de son université à obtenir cette médaille.
M a 23 ans et fait des études de comptabilité. Elle vient du Tigré dans le nord de l’Éthiopie et nous a été confiée à l’âge de 5 ans. Séropositive elle vit avec trois autres jeunes filles dans une maison louée spécifiquement à cet effet. C’est une demoiselle sociable et sérieuse. Passionnée de couture elle s’est payée des cours du soir. Nous vous laissons juger de la qualité de ses réalisations. M nous a demandé de lui laisser un accès à une machine à coudre dans le centre et de lui acheter un petit fer à repasser. Nous avons donc demandé à Tamiru d’organiser tout ça en espérant que d’autres jeunes filles la rejoignent. Nous sommes sûrs qu’elle en fera son métier.
- Tamiru Nega :
Tamiru Nega est âgé de 59 ans. Il est notre interlocuteur principal en Ethiopie.
Il est originaire de l’Arsi, en région Oromo. Il habite à Addis Abeba, est marié, père de 2 filles et grand-père d’un petit garçon. Après des brillantes études d’anthropologie sociale, et de gestion administrative pour les milieux sociaux et culturels, il travaille au sein de diverses organisations gouvernementales.
Il a en outre suivi plusieurs formations complémentaires en Éthiopie et à l’étranger, dans différents domaines : santé, droit des femmes et des enfants, lutte contre la pauvreté, gestion de projets, sida, etc. Fort de cette expérience, il rejoint SOSEE en 2008. Il est d’abord manager de l’orphelinat de Gelan, puis devient responsable du centre de Burayu à la fermeture de Gelan il y a 10 ans de cela. Tamiru est un homme foncièrement honnête qui respecte scrupuleusement les lois éthiopiennes. Il prend toujours le temps de la réflexion.
C’est un homme droit et bienveillant, en qui les jeunes ont confiance. Pour les diverses associations françaises, c’est un interlocuteur de grande qualité, réellement engagé dans les missions auprès des jeunes qui lui sont confiés. Il parle couramment l’Amharique, l’Oromia et l’anglais.
Auprès de Sereke Berhan, son adjoint, il mène différentes missions :
- Le management des 63 employés que compte la structure SOS Enfants Éthiopie
- La représentation de SOSEE auprès des autorités administratives et politiques éthiopiennes
- La gestion financière et comptable de l’ONG en Ethiopie
- L’écoute active des jeunes, de leurs projets, de leurs revendications
Réunion du 10 novembre 2023 avec la direction de l'ONG Ethiopienne Mekdim
Le staff de Mekdim a insisté sur la qualité du travail de notre centre de Burayu et de notre implication dans le projet. Nous ne nous contentons pas simplement de financer, nous avons un regard objectif sur les effets et les résultats qu’engendre ce projet. Notre investissement incite Mekdim à aller plus loin à nos côtés. L’ONG souhaite trouver des financements en Éthiopie pour la reprise de certaines activités dans le centre comme les ateliers bois et métal. C’est une opportunité qu’il ne faut pas laisser passer, c’est la première fois que nous avons ce soutien de la part des Éthiopiens quels qu’ils soient.
Quelques Chiffres !
Effectifs des jeunes et enfants aidés :
- Il y a aujourd’hui 186 enfants dans la structure (70 filles et 116 garçons) qui se répartissent ainsi:
- 59 dans l’orphelinat dont 31 filles et 28 garçons
- 107 en familles d’accueil ou en petits logements loués dont 31 filles et 76 garçons
- 8 jeunes replacés dans leur famille mais aidés financièrement dont 2 filles et 6 garçons
- 11 enfants de la communauté de Burayu qui sont aussi aidés (6 filles et 5 garçons)
Par rapport à l’année dernière :
- 11 jeunes sont partis (3 pour manquement à la discipline, 3 handicapés ont été replacés dans des institutions spécialisées et 5 ont trouvé du travail).
- 8 sont en cours de départ (essai pour du travail …)
- 2 jeunes filles fraîchement diplômées vont pouvoir partir rapidement .
Retour sur la tempête de septembre
La nature ne nous a pas épargnés non plus cette année. En septembre un gros coup de vent a balayé la ville de Burayu couchant de nombreux arbres du centre. Certains sont tombés sur les toits des bâtiments causant environ 4000€ de dégâts divers. Fort heureusement pas de blessé et les toits des deux toukouls refaits récemment ont tenu bon.
Depuis tous les eucalyptus concernés ont été débités et transformés en bois pour la cuisine. Toute l’Afrique de l’Est est en ce moment touchée par de très fortes précipitations qui ont causé plus de 300 victimes.